Allegria - Kader Attou
- mArie1012
- 16 avr. 2020
- 5 min de lecture

Le hip-hop a 46 ans ! Le 11 août 1971, le DJ Kool Herc organise une fête mémorable dans le Bronx, donnant ainsi naissance au hip-hop, une musique et une culture urbaine qui n'a cessé depuis de prendre de l'ampleur. Le hip-hop a été importé en France dans les années 80. Il a depuis gagné les théâtres français, élevé au rang de danse contemporaine à part entière, ce qui est une spécificité française.

Kader Attou a 45 ans... Il est aujourd'hui l'une des figures du hip-hopfrançais. Le hip-hop, il l'a connu à travers la télé, avec l'émission mythique H.I.P H.O.P, animée à partir de 1984 par Sydney sur TF1.
Kader Attou regarde religieusement Sydney tous les dimanches et en recopie les mouvements. Il s'initie aussi au cirque puis en 1989, il crée Accrorap avec Mourad Merkouki, qui est aujourd'hui directeur du Centre Chorégraphique National de Créteil. Cinq ans plus tard, le collectif se professionnalise et, quittant le bitume pour les planches, est programmé dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon. C'est le début de la reconnaissance et de la notoriété pour la compagnie.

Accrorap fête ses 30 ans cette année. La compagnie continue à produire des spectacles explorant le répertoire du hip-hop.
Kader Attou est depuis 2008 directeur du Centre Chorégraphique National de La Rochelle. devenant ainsi le premier chorégraphe hip hop à la tête d’une telle institution.
1. DJ Kool Herc pendant la fête de bloc dans la Bronx, Août 1973
2. Kader Attou
3. Sydney dans l'émission H.I.P.H.O.P.

ALLEGRIA ballet pour 8 danseurs, créé en 2008, 90 minutes, Théâtre de Chaillot "Avec Allegria, l’idée est de chercher la poésie partout où elle se trouve, dans les corps des danseurs, dans le burlesque mais aussi dans la violence du monde. J’aime raconter avec légèreté́ ce qui se passe de grave dans le monde".
Entre légèreté et gravité
Un homme, une valise.
La musique est grave puis des accords plus légers se superposent.
La lumière, de douche localisée, se transforme rapidement en un éclairage blanc, tantôt chaud, tantôt froid, pour donner à voir la scène. L'arrière scène, mystérieuse, reste dans le noir.
Très vite, la valise devient un enjeu de convoitise pour d'autres voyageurs.
La dispute devient chorégraphiée. Seul, en duo, en trio,... les danseurs finissent par composer un tableau d'ensemble évoquant le tourbillon d'un hall de gare...
Le voyage peut commencer ! Il emmènera le public vers des amorces d'histoires, rencontres inattendues, souvent joyeuses, parfois tendues, à l'image du monde dans lequel nous vivons.
Les costumes sont sobres, pantalon noir et chemise claire, laissant à chacun la possibilité de s'identifier. Bien sûr, le crissement des baskets nous rappelle l'univers du hip hop... Sur une scène dépouillée, les tableaux se succèdent comme autant de tranches de vie ou de fragments d'histoires. Dans le premier, un Bboy, sur les accords d'une boite à musique exécute en solo un popping. Mais très vite, à l'unisson, trois autres danseurs se joignent à lui... Les danseurs se touchent, s'agrippent ou se repoussent, se saluent, s'interpellent. D'un simple geste, un haussement d'épaule, une poignée de main ou un coup bas, les danseurs nous emportent avec eux dans des chorégraphies d'ensemble. Un geste plus appuyé entraîne des actions en chaine, évoquant les conséquences de nos actes au quotidien. En solo, duo ou trio, les danseurs entrent et sortent de scène, se dispersent mais c'est pour mieux se retrouver dans des tableaux d'ensemble, où les moments à l'unisson, parfaitement chorégraphiés, donnent à voir l'essence du hip hop, sans artifice. Proposition individuelle ou collectif énergique s'enchainent composant ainsi un ballet où chacun des interprètes est complémentaire. Les danseurs sont à la fois aériens et ancrés au sol, la tête dans les nuages, les pieds sur terre...
Le ton et le rythme de la pièce sont donnés. Trois tableaux se distinguent néanmoins de l'ensemble. Le premier prend forme au moment où le rideau qui barrait le fond de scène s'efface et révèle une longue estrade devant un grand écran à la lumière changeante. Le long de cette marche, les danseurs explorent ce nouveau cadre de scène, ils montent, descendent, s'élèvent, break dansent, moments d'échange et de connivence.
Plus tard dans le spectacle, ce cadre donne à savourer au public un pur moment de magie ; l'arrière scène se transforme alors en théâtre d'ombres chinoises : des créatures, mi-homme, mi-animal évoquent la poésie et l'imaginaire que revendique Kader Attou. La musique de Régis Baillet s'emporte, elle devient lyrique, envahissante puis va decrescendo, pour finir sur une touche de légèreté, grâce à l'ultime pied de nez d'un danseur. Le burlesque n'est jamais loin...
Mais la poésie se trouve aussi "dans la violence du monde" comme l'affirme le chorégraphe. Un drap sombre et agité, élément scénique surprenant nous transporte sur une mer houleuse. Les danseurs plongent dans les vagues, la traversée est difficile et sur la plage, gît un homme, bientôt rejoint par les autres : quelle côte ces rescapés ont-ils atteints ? Quel pays ont-ils fuit ? Quelle histoire est la leur ? Kader Attou ne donne aucune réponse, mais le propos est grave, chacun y donnera le sens qu'il veut.
A part ces trois moments, il y a peu d'effets scéniques, l'attention est portée sur les huit Bboys qui, par leur énergie, donnent à sentir le plaisir d'être ensemble et celui de danser. Quand ils s'amusent à se chamailler ou se provoquer, on se croirait dans une cour de récréation. Et c'est ainsi qu'un geste banal se transforme en phrase chorégraphiée, techniquement maitrisée, qui se répète et se transmet de l'un à l'autre des danseurs. Ce qui compte dans Allegria, autant dans le fond que dans la forme, c'est la danse, celle qui évoque la joie, le mouvement qui est aussi la vie et qui se passe d'une personne à un autre, la vivacité mise en avant par les acrobaties, la fluidité du breaking, une pure danse hip hop au final.
"Tous ont une corporalité́ différente, j’écris avec ce qu’est chacun parce que ce qu’ils sont physiquement ouvre dans la pièce autant de petites fenêtres "
Chaque danseur a sa personnalité et le spectacle donne à chacun son espace de création et d'évocation. La troupe est protéiforme et c'est ce qui en fait sa richesse : un danseur longiligne et dégingandé (mention spéciale à Sulian Rios), un géant aux bras sans fin, un autre petit et nerveux,... Quand ils dansent à l'unisson, le public, conquis, retient son souffle. Moment jubilatoire devant lequel on s'émerveille même si certains diront que la narration est peut-être un peu oubliée.
Pour saisir cette complicité entre interprètes et sentir l'émotion des corps et des
regards, il faudrait voir ces 8 virtuoses dans une petite salle pour rendre leur proposition plus intime. La pièce ne supporte pas la distance, rappelons que le hip hop est une danse de relation à l'autre, proche des regardants qui peuvent répondre au mouvement s'ils le souhaitent...
Direction artistique et chorégraphie * Kader Attou* Danseurs *Gaetan Alin *Khalil Chabouni *Hugo de Vathaire *Jackson Ntcham *Artem Orlov *Mehdi Ouachek *Sulian Rios *Maxime Vicente* Scénographie *Camille Duchemin* Musiques *Régis Baillet* Lumières *Fabrice Crouzet*
Journée d'immersion au Palais de Chaillot, en compagnie des danseurs de Kader Attou. Moments magiques, vue imprenable, lieu mythique... Et Sydney himself !
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